Accord entre l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement sierra-léonais sur la création d’un Tribunal spécial pour la Sierra Leone
Compare-
Attendu que, dans sa résolution 1315 (2000) du 14 août 2000, le Conseil de sécurité s’est montré profondément préoccupé par les crimes très graves commis sur le territoire de la Sierra Leone contre la population civile et des membres du
personnel des Nations Unies et d’autres organisations internationales, ainsi que par le climat d’impunité qui y règne;
Attendu que, dans cette résolution, le Conseil de sécurité a prié le Secrétaire général de négocier un accord avec le Gouvernement sierra-léonais en vue de créer un Tribunal spécial indépendant chargé de poursuivre les personnes qui portent la
responsabilité la plus lourde des violations graves du droit international humanitaire ainsi que des crimes commis au regard du droit sierra-léonais;
Attendu que le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ci-après dénommé le « Secrétaire général ») et le Gouvernement sierra-léonais (ci-après dénommé le « Gouvernement ») ont mené des négociations en vue de la création d’un Tribunal spécial pour la Sierra Leone (ci-après dénommé le « Tribunal spécial »);
L’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement sierra-léonais sont convenus de ce qui suit :
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Article premier - Création du Tribunal spécial
1. Il est créé un Tribunal spécial pour la Sierra Leone chargé de poursuivre les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde des violations graves du droit international humanitaire et du droit sierra-léonais commis sur le territoire de la Sierra Leone depuis le 30 novembre 1996.
2. Le Tribunal spécial fonctionne conformément au Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Le Statut figure en annexe au présent accord dont il fait partie
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Article 2 - Composition du Tribunal spécial et nomination des juges
1. Le Tribunal spécial comprend une Chambre de première instance et une Chambre d’appel. Une seconde Chambre de première instance sera créée si, après une période d’au moins six mois à compter du début du fonctionnement du Tribunal spécial, le Secrétaire général ou le Président du Tribunal spécial le demandent. De même, deux juges suppléants au plus sont nommés après six mois si le Président du Tribunal spécial en décide ainsi.
2. Les Chambres se composent de huit juges indépendants au moins et de 11 au plus, qui se répartissent comme suit :
a) Dans chacune des Chambres de première instance siègent trois juges, dont un est nommé par le Gouvernement sierra-léonais et deux sont nommés par le Secrétaire général sur présentation des États, et en particulier des États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et du Commonwealth, que le Secrétaire général aura sollicités;
b) Au cas où la seconde Chambre de première instance serait créée, elle aura également la composition indiquée à l’alinéa a) ci-dessus;
c) À la Chambre d’appel siègent cinq juges, dont deux sont nommés par le Gouvernement sierra-léonais et trois sont nommés par le Secrétaire général sur présentation des États, et en particulier des États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et du Commonwealth, que le Secrétaire général aura sollicités.
3. Le Gouvernement sierra-léonais et le Secrétaire général se consultent sur la nomination des juges.
4. Les juges sont nommés pour un mandat de trois ans et sont rééligibles.
5. Si, à la demande du Président du Tribunal spécial, un juge suppléant a été nommé, ou si des juges suppléants ont été nommés, par le Gouvernement sierra-léonais ou le Secrétaire général, le Président d’une Chambre de première instance ou de la Chambre d’appel désigne le juge suppléant ayant été ainsi nommé pour être présent à tous les stades de la procédure en remplacement d’un juge se trouvant dans l’impossibilité de siéger.
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Article 3 - Nomination d’un Procureur et d’un Procureur adjoint
1. Le Secrétaire général nomme un Procureur pour un mandat de trois ans, après avoir consulté le Gouvernement sierra-léonais. Le Procureur est rééligible.
2. Le Gouvernement sierra-léonais nomme, après avoir consulté le Secrétaire général et le Procureur, un Procureur adjoint chargé d’assister le Procureur dans la conduite des enquêtes et des poursuites.
3. Le Procureur et le Procureur adjoint doivent jouir d’une haute considération morale, avoir une compétence professionnelle du niveau le plus élevé et une grande expérience des enquêtes et des poursuites pénales. Le Procureur et le Procureur adjoint sont indépendants dans l’exercice de leurs fonctions et ne sollicitent ni ne reçoivent d’instructions d’aucun gouvernement ni d’aucune autre source.
4. Le Procureur est assisté du personnel sierra-léonais et international dont il peut avoir besoin pour s’acquitter efficacement des fonctions qui lui sont assignées.
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Article 4 - Nomination d’un Greffier
1. Le Secrétaire général nomme, après avoir consulté le Président du Tribunal spécial, un Greffier qui est chargé du secrétariat des Chambres et du Bureau du Procureur ainsi que du recrutement et de l’administration de tout le personnel d’appui. Il gère également les ressources financières et les ressources en personnel du Tribunal spécial.
2. Le Greffier est un fonctionnaire de l’Organisation des Nations Unies. Il est nommé pour un mandat de trois ans et rééligible.
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Article 5 - Locaux
Le Gouvernement facilite la mise de locaux à la disposition du Tribunal spécial, lui accorde toutes les facilités et lui fournit tous les services publics ou autres qui sont nécessaires à l’accomplissement de ses fonctions.
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Article 6 - Dépenses du Tribunal spécial
Les dépenses du Tribunal spécial seront financées par des contributions volontaires de la communauté internationale. Il est entendu que le Secrétaire général entamera le processus de la mise en place du Tribunal lorsqu’il aura obtenu des contributions suffisantes pour financer la création du Tribunal et ses opérations pendant 12 mois, ainsi que des contributions annoncées équivalentes aux dépenses prévues pour le fonctionnement du Tribunal pendant les 24 mois suivants. Il est également entendu que le Secrétaire général continuera la recherche de contributions équivalentes aux dépenses prévues du Tribunal au-delà de ses trois premières années de fonctionnement. Au cas où les contributions volontaires ne suffiraient pas pour permettre au Tribunal de s’acquitter de son mandat, le Secrétaire général et le Conseil de sécurité s’efforceront de trouver d’autres moyens de financement.
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Article 7 - Comité d’administration
Il est entendu par les Parties que les États intéressés créent un comité d’administration, qui sera chargé d’aider le Secrétaire général à trouver des fonds suffisants et de donner des avis et des directives concernant tous les aspects non judiciaires du fonctionnement du Tribunal, notamment les questions d’efficacité, et d’accomplir toutes autres tâches convenues avec les États intéressés. Le comité d’administration sera composé de contribuants importants au budget du Tribunal spécial. Le Gouvernement sierra-léonais et le Secrétaire général seront également membres du comité d’administration.
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Article 8 - Inviolabilité des locaux, archives et autres documents du Tribunal
1. Les locaux du Tribunal spécial sont inviolables. Les autorités compétentes prennent toutes les mesures appropriées pour que le Tribunal spécial ne soit pas dépossédé d’une partie ou de la totalité de ses locaux sans son consentement exprès.
2. Les biens, fonds et avoirs du Tribunal spécial, où qu’ils se trouvent et quel qu’en soit le détenteur, ne peuvent faire l’objet de perquisition, saisie, réquisition, confiscation, expropriation ou autre intervention au titre de mesures de caractère exécutif, administratif, judiciaire ou législatif.
3. Les archives du Tribunal spécial, et d’une manière générale tous les documents et matériels mis à sa disposition, lui appartenant ou qu’il utilise, où qu’ils se trouvent et quel qu’en soit le détenteur, sont inviolables.
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Article 9 - Fonds, avoirs et autres biens
1. Le Tribunal spécial et ses fonds, avoirs et autres biens, où qu’ils se trouvent et quel qu’en soit le détenteur, jouissent de l’immunité de juridiction à tous égards, sauf dans la mesure où le Tribunal renonce expressément à son immunité dans un cas particulier. Il est toutefois entendu que cette renonciation ne peut s’étendre aux mesures d’exécution.
2. Sans être soumis à aucune restriction ou réglementation financière ni à aucun moratoire, le Tribunal spécial :
a) Peut détenir et utiliser des fonds, de l’or ou des instruments négociables de toute nature, avoir des comptes dans n’importe quelle devise et convertir toute devise qu’il détient en n’importe quelle autre;
b) Est libre de transférer ses fonds, son or ou ses devises d’un pays à un autre ou à l’intérieur de la Sierra Leone, à l’Organisation des Nations Unies ou à toute autre institution.
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Article 10 - Siège du Tribunal spécial
Le Tribunal spécial a son siège en Sierra Leone. Il peut se réunir hors de son siège s’il l’estime nécessaire pour exercer efficacement ses fonctions, et son siège peut être transféré hors de Sierra Leone si les circonstances l’exigent, et sous réserve que le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement sierra-léonais d’une part, et le Gouvernement de l’État du nouveau siège de l’autre, concluent un accord de siège.
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Article 11 - Capacité juridique
Le Tribunal spécial a la capacité juridique :
a) De contracter;
b) D’acquérir et d’aliéner des biens meubles et immeubles;
c) D’ester en justice;
d) De conclure avec des États les accords qui peuvent être nécessaires pour l’exercice de ses fonctions et pour son administration.
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Article 12 - Privilèges et immunité des juges, du Procureur et du Greffier
1. Les juges, le Procureur et le Greffier, ainsi que les membres de leur famille qui font partie de leur ménage jouissent des privilèges et immunités, exemptions et facilités accordés aux agents diplomatiques conformément à Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques. Ils jouissent en particulier :
a) De l’inviolabilité de leur personne, ne pouvant notamment être soumis à aucune forme d’arrestation ou de détention;
b) De l’immunité de la juridiction pénale, civile et administrative conformément à la Convention de Vienne;
c) De l’inviolabilité de tous leurs papiers et documents;
d) De l’exemption, le cas échéant, de toutes restrictions à l’immigration et formalités d’immatriculation des étrangers;
e) Des mêmes immunités et facilités en matière de bagages personnels que celles accordées par la Convention de Vienne aux agents diplomatiques;
f) De l’exonération des impôts sierra-léonais en ce qui concerne leurs traitements, émoluments et indemnités.
2. Les privilèges et immunités sont accordés aux juges, au Procureur et au Greffier dans l’intérêt du Tribunal spécial et non à l’avantage personnel des intéressés. Le droit et le devoir de lever l’immunité dans tous les cas où elle peut l’être sans nuire au but pour lequel elle est accordée appartient au Secrétaire général, en consultation avec le Président.
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Article 13 - Privilèges et immunités du personnel international et sierra-léonais
1. Les membres du personnel sierra-léonais et international du Tribunal spécial jouissent :
a) De l’immunité de juridiction pour tous les actes (y compris leurs paroles et écrits) qu’ils accomplissent à titre officiel. Cette immunité est maintenue après qu’ils ont quitté le service du Tribunal spécial;
b) De l’exonération de tout impôt sur les traitements, indemnités et émoluments qui leur sont versés.
2. Les membres du personnel international jouissent de surcroît :
a) De l’exemption de toute restriction à l’immigration;
b) Du droit d’importer en franchise de droits de douane et d’impôts indirects, excepté pour le paiement de services, leurs mobilier et effets lorsqu’ils prennent pour la première fois leurs fonctions officielles en Sierra Leone.
3. Les privilèges et immunités sont accordés aux fonctionnaires du Tribunal spécial dans l’intérêt du Tribunal et non à leur avantage personnel. Le droit et le devoir de lever l’immunité dans tous les cas où elle peut l’être sans nuire au but pour lequel elle est accordée appartiennent au Greffier du Tribunal.
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Article 14 - Le conseil
1. Le Gouvernement veille à ce que le conseil d’un suspect ou d’un accusé reconnu comme tel par le Tribunal spécial ne soit soumis à aucune mesure susceptible d’affecter sa liberté ou son indépendance dans l’exercice de ses fonctions. Le conseil jouit en particulier:
a) De l’immunité d’arrestation et de détention et de saisie de ses bagages personnels;
b) De l’inviolabilité de tous les documents ayant trait à l’exercice de ses fonctions de conseil d’un suspect ou d’un accusé;
c) De l’immunité de la juridiction pénale ou civile pour les actes accomplis par lui en sa qualité de conseil (y compris ses paroles et écrits). Cette immunité est maintenue après qu’il a cessé ses fonctions de conseil d’un suspect ou d’un accusé;
d) De l’immunité de toutes restrictions en matière d’immigration pendant son séjour et pendant son voyage aller pour rejoindre le Tribunal et son voyage retour.
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Article 15 - Témoins et experts
Les experts et témoins résidant en dehors du territoire sierra-léonais et comparaissant sur citation ou à la demande des juges ou du Procureur ne sont ni poursuivis, ni détenus par les autorités sierra-léonaises et leur liberté n’est en aucune manière entravée. Ils ne font l’objet d’aucune mesure susceptible de les empêcher d’exercer leurs fonctions en toute liberté et indépendance. Les dispositions des alinéas a) et d) du paragraphe 2 de l’article 14 s’appliquent aux témoins et aux experts.
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Article 16 - Sécurité et protection des personnes visées dans le présent Accord
Reconnaissant la responsabilité qui est faite au Gouvernement en vertu du droit international d’assurer la sécurité et la protection des personnes visées dans le présent Accord, et l’incapacité dans laquelle il se trouve de le faire en attendant la restructuration et la reconstitution de ses forces de sécurité, il est convenu que la MINUSIL assurera la sécurité des locaux et du personnel du Tribunal spécial, sous réserve d’un mandat approprié du Conseil de sécurité et dans la mesure de ses moyens.
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Article 17 - Coopération avec le Tribunal spécial
1. Le Gouvernement coopère avec tous les organes du Tribunal spécial, à tous les stades de la procédure. Il facilite en particulier l’accès du Procureur aux sites, aux personnes et aux documents dont il a besoin pour ses enquêtes.
2. Le Gouvernement fait suite sans retard indu à toute demande d’assistance que lui adresse le Tribunal spécial et à toute ordonnance prise par les Chambres, y compris, sans que la liste ci-après soit exhaustive, en ce qui concerne :
a) L’identification et la localisation de personnes;
b) Le service des documents;
c) Les arrestations ou les détentions;
d) Le transfèrement des accusés au Tribunal.
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Article 18 - Langue de travail
La langue de travail officielle du Tribunal spécial est l’anglais.
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Article 19 - Dispositions pratiques
1. Par souci d’efficacité et d’économie, la création du Tribunal spécial se fera en plusieurs étapes, selon l’ordre chronologique de la procédure.
2. Lors de la première phase, les juges, le Procureur et le Greffier du Tribunal seront désignés ainsi que le personnel chargé des enquêtes et des poursuites. Les enquêtes et poursuites, ainsi que les procès de ceux qui sont déjà sous la garde du Tribunal pourront alors commencer.
3. Lors de la phase initiale, les juges de la Chambre de première instance et de la Chambre d’appel sont convoqués en fonction des besoins pour s’occuper de questions d’organisation, et sont appelés à assurer leurs fonctions lorsqu’il y a lieu.
4. Les juges de la Chambre de première instance seront appelés à siéger peu après la fin des enquêtes. Les juges de la Chambre d’appel siégeront lorsque le premier procès sera terminé.
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Article 20 - Règlement des différends
Tout différend entre les Parties concernant l’interprétation ou l’application du présent Accord est réglé par la négociation ou par tout autre moyen convenu d’un commun accord entre les Parties.
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Article 21 - Entrée en vigueur
Le présent Accord entre en vigueur le lendemain du jour où les deux Parties se seront notifié l’une à l’autre par écrit que les formalités requises ont été remplies.
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Article 22 - Amendement
Le présent Accord peut être amendé par convention écrite entre les Parties.
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Article 23 - Résiliation
Le présent Accord est résilié par accord entre les Parties à l’achèvement des activités judiciaires du Tribunal spécial.
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En foi de quoi, les soussignés, représentants dûment autorisés de l’Organisation des Nations Unies et du Gouvernement sierra-léonais, ont signé cet accord.
Fait à Freetown, le 16 janvier 2002, en double exemplaire en langue anglaise.